Avoir beaucoup de livres c’est encombrant, c’est poussiéreux, mais c’est bien. L’un de mes amis en possède un peu plus de dix-mille et les a tous lus. Étant parfaitement quadrilingue il les a lus indifféremment en français, en anglais, en espagnol et en italien. J’ai des fréquentations énervantes. D’autant que cette fabuleuse bibliothèque ne contient grosso-modo que le meilleur de la littérature mondiale, rien n’approchant la faute de goût ou le relâchement intellectuel. Comme tous ces livres vont prochainement changer de continent je suis allé aider à les emballer. En nous y mettant à dix nous avons tout casé dans deux-cent-soixante cartons, joyeusement, avec du vin, des chocolats et de la galette, il fallait ça.
La présence de livres est infiniment réconfortante, amicale et rassurante et je comprends si bien le plaisir qu’il y a à s’entourer de livres que j’ai une grande difficulté à concevoir qu’on puisse ne pas en être entouré. Si je me rends dans un intérieur qui en est dénué ou presque, je suis mal à l’aise : ça cloche ! Les personnes qui vivent là sont forcément des extraterrestres, psychopathes en puissance, il vaut mieux rester méfiant et s’attendre au pire un jour ou l’autre.
Je ne sais pas combien j’ai de livres. À vue de nez un bon gros millier, à vue d’œil pareil, à vue de pied je ne sais pas. Rien de comparable à celle que j’ai aidé à mettre en cartons voilà huit jours. La mienne est moins distinguée. On y trouve un peu de tout et beaucoup de livres de poche. Près de mon lit les livres s’amoncellent. Non seulement j’ai du mal à m’endormir si je ne passe pas même brièvement par la case lecture mais les regarder de côté, quand j’ai la tête sur l’oreiller, me prépare à la nuit mieux qu’un documentaire sur la vie du bouquetin des Alpes. Et puis parfois je les hume, les renifle. Ce n’est pas élégant mais c’est bon, puisqu’ils sentent rarement le bouquetin. J’achète les livres plus vite que je ne les lis, d’où les amoncellements. Je lis lentement, comme je lirais à haute voix, mais j’ai le besoin crucial de savoir que, lorsque mon livre sera fini, je n’aurai que l’embarras du choix. Je n’aime d’ailleurs le choix qu’embarrassant. Parfois, ne sachant finalement me décider devant ma centaine de livres en attente j’ai l’impression de n’avoir rien à lire. Alors je file en acheter de nouveaux.
Il y a des livres que j’ai envie de lire depuis très longtemps, je ne les lirai peut-être jamais mais ils sont là. Il y aussi ceux que j’ai tellement envie de lire que je préfère en lire d’autres avant. Différer un grand plaisir est un plaisir en soi. Le système doit donc être alimenté en permanence. Je peux passer plus de trois heures dans une librairie d’où je sors généralement gratifié d’une bonne douleur aux lombaires mais heureux. Je ne peux me déplacer nulle part sans un livre avec moi. En ce moment par exemple je lis La sixième île de Daniel Chavarría, un livre baroque à souhait dont les personnages volent, tuent et torturent un peu comme ils respirent. C’est parfait dans le métro pour vous éloigner en esprit des personnes occupées à se tricoter à côté de vous une intelligence de bulot en jouant à Candy Crush. Car elles sont quand même, il faut bien le dire, nettement plus effrayantes : elles existent vraiment, elles !
Avec des livres on est toujours en bonne compagnie. Ils sont pour ainsi dire mon seul luxe et je leur dois beaucoup. Ayant grandi entouré de livres avec une maman grande lectrice je mesure le rôle de transmission que cette présence familière a opéré et dont ma relation avec ces êtres de papier témoigne : une relation vaguement compulsive (Oui, je suis déjà allé chez Gibert la semaine dernière, et la semaine d’avant, et alors ?), et un brin hystérique (je VEUX ce livre MAINTENANT !/NAAAN, je ne veux pas le lire tout de suite !). Mais à part ça tout va très bien.
Bravo ! J’adore, c’est un peu moi, tout ça… Je donne des livres à chaque déménagement et il en reste encore et j’en achète toujours autant… C’est grave docteur ? Bises
Bertille
Waouh! Quelle belle bibliothèque ! Le rêve…
J ai au moins 2 points communs avec vous dans ce domaine : dormir entourée de livres et ne pas s endormir sans avoir lu,ne serait-ce que quelques ligne!
Douce soirée. ..
Ah, ah, comme je me reconnais ! Des livres partout, débordant de vitalité et grignotant mon espace jusqu’à ma table de chevet qui n’en est plus une. Romans, livres d’histoire de l’art, et tout le reste, même des livres d’illustration pour enfants et des B.D. Et puis mes manuscrits qui s’entassent et que je considère comme des livres en devenir.
Une anecdote : je me demandais si, sur mon blog, je devais cesser dire tout le bien que je pense de certains livres, c’était une question tout à fait sérieuse que je ne savais résoudre. Il se trouve qu’il y quelques semaines, j’ai écrit une chronique sur un livre. Dimanche, mes pas me mènent le long de la mer avec ma mère, grande lectrice comme le fut aussi ma grand-mère (et oui, c’est encore de famille !) et là nous nous nous arrêtons devant une bibliothèque en plein air, un de ces lieux merveilleux où nous pouvons prendre et déposer librement des livres. M’y attendait, intentionnellement, je n’ai aucun doute là-dessus, ce même livre dédicacé par son auteur ! Et devinez le titre ? L’ultime conviction du désir. Si ce n’est pas un signe ! La question est résolue : je continuerai mes chroniques tant que j’en aurai le désir. Tout ça pour dire que je cours après les livres mais que les livres me courent aussi après !
Mon grand père russe lisait aussi en quatre langues peut être meme cinq, je l’ai malheureusement peu connu, mais il marchait en lisant ça je m’en souviens, même dans le rue !
Il a lu La guerre et La paix en russe bien sûr ! J’ai gardé de lui ce goût de lire et ma pile de livres n’est pas à côté de mon lit mais dans mon lit qui est assez grand pour nous recevoir tous les deux !
Inutile de te dire combien j’attends avec impatience ma bibliothèque sur mesure qui ira frôler le plafond ! Comme toi j’ai des livres que je ne lirai sans doute jamais mais je les ai près de moi !
Douce nuit, fais de beaux rêves
Sophie
Il y a les livres dans les bibliothèques et les bibliothèques dans les livres…
“Tandis qu’il parlait, d’un geste il montra le désordre de la pièce. Une incroyable quantité de livres s’entassait sur les tables et les étagères en doubles, triples et même quadruples rangées, au milieu d’énormes liasses de papiers, de vieilles cartes, de fossiles, de minéraux et de coquillages.
– L’état de ma bibliothèque vous dira, j’en ai peur, tout ce que vous devez savoir sur ma capacité d’organisation.
– Ne vous inquiétez pas, le désordre ne m’impressionne pas.
– Tant mieux, mais je parie qu’il vous dérange.”
L’éveil de Mademoiselle Prim, Natalia Sanmartin Fenollera, Editions Grasset & Fasquelle, 2013 (un petit village du terroir français ? dans les années 2000)
“Pendant qu’Isaure prenait place dans un fauteuil Louis-XV d’époque, large et accueillant, Antoine profitait de ce délai pour circuler plus à loisir à travers la pièce, à observer le décor, les objets. D’abord les boiseries anciennes (autrefois peintes puis décapées) qui réchauffaient les murs de leur teinte de chêne blond. Entre les panneaux, des rayonnages de livres, pour la plupart reliés et frappés à l’or fin. Entre les livres, de loin en loin une statuette, un bronze khmer, une coupe grecque à guerriers combattants, un jade Song, une terre cuite aztèque… Peu de tableaux, d’époques indéfinies mais plaisants, de bon goût ; parmi lesquels une petite étude de lansquenet (sans signature), aux teintes délicates, harmonieuses, qu’Antoine attribua à Meissonnier et c’était là, vu le décri dans lequel demeure ce peintre, un choix qui dénonçait l’amateur éclairé.”
Le grenier d’Armor, Vercors, Editions Michalon et Rita Vercors, 1997 (la Bretagne dans les années 1980)
« Autour de nous, trois cent cinquante mille volumes dont le très estimé fonds gréco-latin et celui de littérature française. La douzaine d’échelles roulantes, machines de guerre antiques à forcer les murailles, permettent d’atteindre les livres des rayonnages les plus élevés. Sur les longues tables étroites, les atlas, les dictionnaires. Des présentoirs comme à la messe. Des bancs aussi comme à la messe ou à l’école. Le Saint des Saints. Il ne manque que l’odeur d’encens, et encore : les vernis des boiseries, le cuir des reliures, le vélin des vieilles pages font flotter dans l’air le relent des siècles. Aimer une odeur. Lire aussi. »
Tadjoura, Jean-François Deniau, Hachette Littératures, 1999 (Bibliothèque de l’Ecole normale supérieure, 45, rue d’Ulm, Paris, 5e arrondissement, dans les années 1990)
Bonne lecture !
Vous venez de faire mon exact portrait dans ma relation avec les livres… Comme vous, impossible de m’endormir sans quelques pages (parfois seulement quelques mots…) de lecture, la tête bien de travers sur l’oreiller… Et ce moment à la fois délicieux et terrifiant lorsqu’on franchit le seuil des dernières pages qui dévoilent enfin le dénouement tant attendu de cette histoire dont.on vient de se délecter mais fait naître aussi l’angoisse du “et après ?…”, l’angoisse du vide, du manque et pire encore, du moins bien… D’où l’absolue nécessité de la pile, souvent branlante et pleine de promesses, au pied de la table de chevet… J’en profite pour saluer au passage François Busnel et Guillaume Galienne et leurs gourmandes émissions…
Je comprends très bien cette confession écrite par quelqu’un qui aime les livres et veut avouer son plaisir, je l’aime parce que j’adore les livres, moi aussi. C’est quelque chose de durable, quelque chose impossible de s’en debarasser…
Comme je me retrouve dans ton billet ! Impossible d’imaginer la vie sans ces feuillets qui parfument et transmettent tant d’émotion.
Mais cela dit, c’est vrai qu’ils prennent de la place.
Merci pour ces confidences qui m’ont bien fait rire.
Bonne fin de semaine Philippe.
Votre propos autour du livre est très intéressant. Moi aussi, je ne peux pas m’endormir sans lire . Vivant dans un petit appartement, j’ai dû trier avant de donner , j’ai gardé ceux auxquels je tiens le plus. J’aime la mediatheque qui permet d’assouvir le plaisir de découvrir de nouveaux auteurs sans pour autant alourdir mes rayonnages. Dans ma ville , il y a aussi un système d’échanges libres de livres dans les lieux publics ( médecin, kinésithérapeute, maison de quartier MJC , jardin etc ) .
Lire pendant toute une vie, faire son lait de toutes les histoires, tenter de comprendre les essais, faire sienne la méditation des personnages, se sentir vivre à travers eux ,c’est ce qui nous construit,mais c’est un luxe de passif en somme. Nous lisons ,certes,est-ce que nous créons nous-mêmes ? A l’aube de la vieillesse,j’aurais lu et puis après?le plaisir , c’est tout, plaisir égoïste.
Montesquieu écrivait déjà : “Je n’ai jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé.” Les liseurs sont des fripons…..
Comment ne pas penser à Jules Renard :
“Quand je pense à tous les livres qu’il me reste à lire, j’ai la certitude d’être encore heureux. “
Impossible d’imaginer ma vie, sans les livres…Ils me tiennent chaud, ils me rendent la vie plus belle… me consolent quant j’ai une petite contrariété, ils me font voyager….et me rendent heureuse…alors pourquoi se priver de ce plaisir…je suis comme vous …J’adore,
c’est effrayant cette manière de se sentir singulière et de s’apercevoir au détour d’une lecture que d’autre vous ressemble tant que même un frère, un jumeau, ne ressemblerai pas autant que cet inconnu sur la toile. Flippant et réconfortant ! :)
Après avoir lu le commentaire de tous ces ces lecteurs, je m’interroge. Est-il possible, vraiment, que le livre disparaisse comme l’annonce une certaine presse ? Je lis moi aussi, sans doute pas suffisamment ; j’écris beaucoup, sans doute trop !
A la lecture de votre article et des commentaires, je me sens réconfortée ! Je ne suis donc pas seule à “entasser” les livres dans l’attente de pouvoir les lire un jour. J’aime toucher le papier, ne pas corner les pages même celles d’un livre de poche. Il a droit aux mêmes égards (le pauvre !) que ces condisciples plus imposants en taille et en prix !
Très bon week end Philippe.
Voilà, en toute humilité, un billet que j’aurais pu écrire. Ce besoin compulsif d’acheter et de posséder encore et encore les ouvrages convoités dans la librairie, et surtout, curieusement, ne pas les lire tout de suite, surtout si on en a très envie, pour rester dans cette attente d’un plaisir qu’on devine infini.
Lire et rêver, lire et s’endormir, lire et voyager… Pour moi, c’est cela la lecture c’est plonger dans un ailleurs et être entourée de livres c’est mon plaisir aussi ! (J’en ai quatre sur la table de nuit), sur ma tablette il y en a également en attente, au cas ou je serais dans un endroit sans avoir un livre avec moi !
Je ne suis pas un passionné de lecture comme vous, mais je trouve votre récit très intéressant. C’est en vous lisant que je me rend compte que notre génération ne lit vraiment plus beaucoup (et moi dans le même panier) !
Quand petit mari et moi étions jeunes avoir des livres, une petite bibliothèque, c’est une de nos illusions…vraiment nous avons un petit bureau avec tout d’étagères combles de livres…Cependant, aujourd’hui on apprend et entre dans la philosophie de la rénovation, du vide, de notre amie japonaise et ses conseils pour avoir de l’ordre…Et on voit cette chambre trop pleine, trop sale, trop désorganisée…
On a besoin mettre en orde, organiser, jeter…jeter, jeter…
Et vraiment on respire mieux, on se sent plus propre, plus, léger…plus vide?
J’ai jeté, j’ai jeté tenues, j’ai jeté quincaillerie, j’ai jeté même des souvenirs… J’ai respiré, vraiment, et il me manque encore, il me manque beaucoup, impossible de le faire d’une traite…comme dit notre amie, j’ai manque, vraiment du temps!
Et j’ai arrivé au petit bureau où tout semble de la quincaillerie…Mon mari, plus sceptique, plus donné à l’informatique, n’a plus besoin de beaucoup de livres, il ne regrette ces temps d’étudiants,( je crois qu’il s’en plaint, ce sont autant de choses laissées par le chemin…!)
Moi je m’y mets, vraiment il y a des éditions bien mauvaises, où la qualité manque, collections achetées à prix bas chaque semaine qu’actuellement sont illisibles, brochures, romans perdus dans l’oublie… je commence par là, j’ai vidé de papiers, cachées dans les tiroirs et aujourd’hui sans sents, de collections sans qualité, de Best-sellers, a bas prix et de livres d’auto aide où de guides jamais usées où obsoletes… Mais nous avons arrêté, difficile continuer, difficile ne revivre chaque souvenir et ne donner un valeur à toutes ces lettres…
Je vais continuer, il manquent encore choses à jeter, recycler…
Cependant, j’ai lu ton article, merveilleux comme toujours, avec les paroles justes, les mots qui nous soufflent la culture, le savoir-faire, le savoir vivre… Mais pour qui tous ces livres? Mes filles ne le valurent non plus, ils iront tous au conteneur du papier…?
Et je pense à la fin, ¡j’aurais une autre chambre pour moi sans tants livres!
Beau partage, bisous.
(Pardonne-moi, j’ai revisé et ai observé plusieurs erreurs, je suis désolée)
J’ai moi aussi beaucoup de mal à me séparer des livres qui ,au fil des années,envahissent mes bibliothèques,remplissent mes malles,trainent sur mes tables,s’empilent sur mes tapis….
Et lors de mes déménagements,les cartons de livres sont de plus en plus lourds,de plus en plus nombreux…Mais je ne me vois pas m’en séparer…J ‘aime en relire certains,ou en prêter à des amies.vivre sans livres c’est comme manger sans sel:la vie n’a pas de saveur!Grâce à quelques grammes de papier ,on peut voyager,endosser les habits d’une pauvre jeune fille anglaise du XIX ème siècle (je lis Dickens en ce moment !), être un enquêteur hors pair, ….Et combien d’autres personnages !
Moi aussi,je suis assez abasourdie ….et un tantinet méfiante lorsqu’il n’y a aucun livre dans une maison :ces gens là sont ils nombrilistes au point de ne pas désirer ouvrir leur imaginaire vers des ailleurs littéraires?
Merci à toi Philippe de nous rappeler que les bases d’une civilisation ne sont pas que virtuelles!
Bises d’Aurillac
Florence