Elles sont six rédactrices en chef, six figures marquantes de la presse de mode féminine dont Yseult Williams retrace le parcours dans Impératrices de la mode, aux éditions de la Martinière. D’Edna Chase qui travailla chez Vogue à la fin du 19ème siècle à Anna Wintour popularisée par le personnage de Miranda Priestly dans Le diable s’habille en Prada, c’est aussi la saga de la mode que l’on retrouve en filigrane, l’industrialisation du vêtement, son rapprochement avec le monde des arts et de la culture, et l’évolution du statut de la femme qu’elles ont accompagnée en innovant, parfois en scandalisant.
Ces femmes qui ont dirigé le Harper’s Bazaar, Vogue, Marie Claire ou Elle ont eu le goût du pouvoir, une grande puissance de travail mais aussi une bonne dose d’imagination. Elles ont beaucoup sacrifié à leur carrière, au point d’avoir souvent une vie sentimentale désastreuse. Seule la plus ancienne, Edna Chase, seule aussi à être issue d’un milieu modeste, connut un mariage heureux. Et une longévité à Vogue de trente-huit ans en gravissant un à un les échelons jusqu’à son sommet.
C’est aux États-Unis que naît la presse de mode féminine. Vogue et le Harper’s apparaissent à la fin du 19ème siècle pour proposer aux riches américaines les modèles des couturiers parisiens qu’elles pourront faire copier. Car tout à l’époque se passe à Paris. Les deux prestigieux magazines se voueront une concurrence féroce. Dans ce contexte, la lutte économique passera aussi par une volonté d’hégémonie culturelle. Femmes de mode mais d’abord femmes de pouvoir elles se feront découvreuses de talents (Andy Warhol, Richard Avedon, Cecil Beaton, Christian Dior et son “new look” etc.). La quête de la nouveauté, de la transgression, de ce qui fera sensation, dépasse le monde du chiffon et n’autorise jamais un regard en arrière.
En France, le Harper’s où elle a été formée servira d’exemple à Hélène Lazareff (la plus antipathique) qui fondera le magazine Elle en 1945. Elle y imprimera sa marque frivole et parisienne.
Quant à Marcelle Auclair, femme de lettres d’abord, et sans doute la plus humaine de toutes, elle fait sortir le premier numéro de Marie Claire en 1937 soutenue par l’homme de presse Jean Prouvost. Avec la volonté de parler de mode bien sûr, mais aussi de tout ce qui touche de près la vie des femmes. Cette empreinte forte des débuts est restée, faisant de Marie Claire une revue plus altruiste, plus ouverte, plus préoccupée des réalités sociales que les autres revues de mode. Marcelle Auclair invite les femmes à lâcher leurs casseroles. Elle est la première à oser consacrer tout un dossier à l’avortement dans les pages de son magazine en 1960, quinze ans avant la promulgation de la loi Veil.
Le dernier chapitre du livre est consacré à Anna Wintour, réputée pour sa froideur et son obsession du contrôle, ayant étendu son pouvoir jusqu’à faire modifier le travail des couturiers quand il ne lui convient pas tout à fait pour les photos de Vogue.
Diana Vreeland (Vogue, 1962-1971) :
Impératrices de la mode se lit très plaisamment même si l’on quitte le livre dans un léger brouillard : on ne distingue plus trop qui a fait quoi. La faute peut-être à mon Alzheimer, sans doute aussi au manque d’iconographie qui aiderait le lecteur à mieux fixer les portraits dans sa mémoire.
Comme il paraît loin en tout cas le temps où Edna Chase refusait de photographier les sacs d’un important annonceur au prétexte de leur piètre qualité ! L’équilibre des forces entre annonceurs et direction éditoriale semble rompu depuis longtemps. Tous ces magazines ont fait allégeance à l’industrie de la mode et à celle des cosmétiques. Ils ne sont à mon sens plus vraiment du côté des femmes. Avec leurs photos retouchées qui proposent des canons de beauté illusoires et un discours toujours orienté vers la minceur, la jeunesse (dorée de préférence), ils sont d’impitoyables pourvoyeurs de complexes physiques, mais aussi économiques (intellectuels certes un peu moins…). Les lectrices doivent être mises en condition de frustration, de rêve et d’achat. Les enjeux financiers étant énormes cette mise en condition est conduite de manière très offensive. La recette aussi grossière qu’elle soit fait toujours ses preuves : alors que ces magazines ne font plus la mode, que leur marge de transgression est devenue quasi nulle, qu’ils subissent à grande échelle la concurrence de “blogueuses” et autres “instagrammeuses” de talent, ils continuent de rayonner, de faire perdurer leur aura.
Mais pour combien de temps encore ?
Hélène Lazareff (Elle, 1945-1973) et Carmel Snow (Harper’s Bazaar, 1934-1958):
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Impératrices de la mode
Yseult Williams
Éditions de la Martinière
2015
299 pages
Martine LEONARD dit
Merci Philippe pour cet article. Tous les vendredis j’achète le “Elle” petit moment que je déguste avec un infini plaisir même si parfois je ne fais que le parcourir, mais à presque 70 ans et ayant perdu Maman à 33 ans j’ai l’impression de passer un instant avec Elle, car elle a acheté “Elle” en 1945 dès sa parution et n’a jamais manqué un numéro, j’ai commencé à le regarder vers 13 ans à peu près, çà peut paraître puéril mais j’aime ce moment le vendredi matin où en rentrant dans la maison de la presse je l’aperçois sur l’étagère, je rentre bien vite et le regarde comme si Maman était près de moi…pendant les vacances à Pontaillac et Royan sur la plage c’était un moment attendu à la fin de la semaine… Merci Philippe pour ce moment de nostalgie joyeuse…
Bonne journée Martine
Polly Peachum dit
Un peu de douceur (non dénuée de lucidité) dans ce monde de brutes !! ;-)
Merci Philippe ♥
Et il est si joli, le commentaire de Martine ci-dessus qui reste fidèle à un magazine pour prolonger le lien avec sa maman disparue, et qui garde en elle une “nostalgie joyeuse”…
Chantal dit
Oh que voilà un joli article !
Merci de nous signaler ce livre que je ne vais pas manquer d’acquérir …. Et cela m’a donné envie surtout de chercher si d’autres ouvrages existent sur Edna Chase, qui me semble avoir eu des valeurs … bien mises à mal désormais. . Et quel bonheur de voir au milieu de ces femmes, Marcelle Auclair, dont j’ai appris assez tardivement qu’elle était la fondatrice de Marie-Claire. Oui, parce que j’ai lu et relu un de ses livres (oui elle était écrivain également), “Le livre du bonheur” que toute personne ayant envie de se désaltérer à une source joie, de bienveillance, à une sagesse (certes imprégnée de spiritualité) bienfaisante se devrait de l’avoir dans sa bibliothèque. Je ne remercierai jamais assez ma grand mère de l’avoir acquis lorsqu’il est sorti, et de me l’avoir prêté. J’ai vite acquis MON exemplaire que je relis assez régulièrement, sorte de “bible” de vie qui me suit depuis 30 ans désormais.
Et surtout merci pour ces articles rafraîchissants à qui je ne ferais qu’un seul reproche : c’est qu’il n’y en ait pas plus souvent ….
Au grand plaisir de vous lire sur ma plage bretonne actuellement.
Chantal
Vinciane dit
Une bien belle envie d’acquérir ce livre, j’aime tant cette nostalgie, ce temps oublié, loin de notre quotidien. Merci Philippe.
Un éternel plaisir de te lire….
ib dit
Tu es un beau conteur-partageur !
Gayot Jean-Paul dit
That is the question !
Christelle dit
He oui, malgré la lutte des femmes pour devenir l’égale de l’homme, les critères de la femme parfaite et fatale demeurent toujours sur les couvertures de magazines. Merci pour cet article intéressant !
Monique dit
Merci pour ce billet fort intéressant et te lire est toujours un vrai plaisir.
Bel après-midi
Monique
Bertille dit
Hélène Lazareff faisait le bonheur de ma mère et ses voisines… Comme quoi tout le monde peut se tromper !
Merci Philippe pour ce charmant reportage qui ouvre les yeux. A bientôt.
Bertille
Annie G. Dijon dit
Merci pour ce post fort intéressant Belle journée
Marta Maghiar dit
Parlons des livres. J’aime bien ça. Merci, Philippe pour ce beau poste!