René Boylesve (1867-1926) a sombré dans l’oubli. La postérité n’a pas toujours un goût sûr. Mais on peut encore trouver L’Enfant à la balustrade qui a été réédité en 2017 aux éditions Libretto. Mon exemplaire bordeaux me vient vraisemblablement de mon arrière grand-père. La lecture de ce roman a été une heureuse découverte.
Nous sommes à Beaumont, petite ville de Touraine, à la fin du XIXe siècle. Henri Nadaud, dit “Riquet”, l’enfant narrateur, observe la vie des adultes autour de lui. Après la mort de sa mère, son père, notaire, a épousé une femme plus jeune que lui. À Beaumont, tout le monde connaît tout le monde mais la sociabilité ne s’exerce que dans des cercles fermés. Au sommet de la pyramide les Plancoulaine, les plus riches, règnent sans partage. Toute la notabilité de Beaumont se rencontre chez eux à la faveur des soirées et des goûters réguliers qu’ils organisent. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes au sein de cette société figée jusqu’à ce que maître Nadaud achète en viager une maison qui domine la ville (la symbolique n’est pas anodine) au nez et à la barbe des Plancoulaine qui convoitaient cette dernière au su de tous. L’ancienne belle-mère de maître Nadaud avec laquelle il entretient des relations tendues, prophétise qu’il paiera cher cet acte irréfléchi.
Les Plancoulaine changent immédiatement de notaire et leur maison est désormais fermée aux Nadaud, première salve d’une riposte qui ne connaîtra guère de limites. Progressivement les clients de l’étude se raréfient, les portes partout se ferment, les amis se détournent, jusqu’aux plus proches. L’isolement social et les rumeurs malveillantes s’installent. Lorsque maître Nadaud traverse la ville plus personne désormais ne le salue. Qu’il ait épousé en seconde noce une jeune femme très jolie ne va pas au surplus jouer en sa faveur. Le médecin de la ville, seul ami des Nadaud à ne pas se détourner d’eux, par le seul fait de cette fidélité sera lui-même objet de la cruelle vindicte.
Riquet, du haut de sa dizaine d’années, observe ainsi la méchanceté, l’hypocrisie, les trahisons, les soumissions, les jalousies et les ridicules de cette bourgeoisie provinciale qui forme son monde, auquel sa tendresse d’enfant tend à rendre un peu d’humanité. Reste que le spectacle est bien médiocre alors qu’en lui sourdent des aspirations moralement plus élevées. La statue d’Alfred de Vigny sur la place de Beaumont, évoquée à plusieurs reprises dans le récit, incarne bien cet élan éloigné du prosaïsme qui attire l’enfant.
J’ai trouvé à ce roman un charme puissant. On déteste certains personnages tandis qu’on est tenu par le désir de voir enfin triompher la justice au profit des Nadaud, ce qui n’arrivera que de manière très nuancée à la fin tant l’ostracisme est une arme implacable. Ainsi, après avoir vu sa famille punie, Riquet doit encore observer le tribut qu’il y a maintenant à verser pour un retour en grâce auprès des Plancoulaine et des autres notables de la ville. Sonne alors l’heure du doute pour l’enfant. Comment soutenir ses idéaux intacts quand tout appelle aux mesquines compromissions ?
Michèle L dit
Le commentaire de ce livre donne vraimant envie de le lire . Merci pour cette découverte.
Vinciane dit
Bonjour Philippe, ce roman sera dans ma liste, tu m’as déjà donné l’envie de tourner les pages…
Merci pour ce résumé.
J’espère que tu vas bien, Paris était-il blanc ces derniers jours, as-tu pris quelques clichés ?
Je te souhaite un beau week-end.
Vinciane
Anne-Laure dit
Du pur Balzac bis! Cette description pointue d’une société hypocrite et renfermée sur ses prérogatives montre que la devise ” devenir calife à la place du calife” existe à travers tous les temps!
Sissi94 dit
Un livre sur les rivalités de province.
Les XIX ème et début du XX ème n’étaient pas tendres avec certaines personnes.
Bon week-end.
Sylvie
Chantal dit
Une étude sociologique provinciale comme on les aime à la manière de F Mauriac et où les personnages méprisés sont attachants
Merci Philippe pour cette découverte
Ludivine dit
Bonjour Philippe,
J’ai très envie de lire ce livre et je vais essayer de le trouver rapidement. Merci beaucoup :)
Ludivine dit
Voilà, je suis très heureuse d’avoir reçu ce livre aujourd’hui. Je vais m’y plonger dans les jours à venir.
A toutes fins utiles, je l’ai commandé chez Decitre, si cela peut aider.
A bientôt :)
Eve dit
Bonjour,
Votre commentaire me donne envie de le lire. Ca me fait penser à Adrienne Mesurat de Julien Green – que j’adore.
Merci!
Dams Lydie dit
Bonsoir Philippe,
tout d’abord BONNE NOUVELLE ANNEE à vous et toutes ici présentes.
Je vais emprunter ce roman du moins essayer à la bibliothèque , pour les longues soirées d’hivers bien au chaud
accompagné d’un bon café bio Reichi coco guarana ” sans vouloir ici faire de la pub ” crémeux à souhait 😋 ainsi qu’un moelleux brownie pour adoucir
cette CRUELLE histoire tellement humaine !😒😒
MERCI 👍
Dams Lydie dit
j’ai pu obtenir le livre aujourd’hui à la bibliothèque , collection Nelson de 1937 ! ma lecture pour ce week-end .
Triskell dit
Un scénario balsacien, avec une touche d’Hervé Bazin (auteur qu’on ne lit plus guère lui non plus sans doute) voilà qui m’intrigue et me donne très envie.
L’hiver n’est pas spécialement rude ici à Paris, il est mou. Voilà une bonne et belle lecture en perspective pour donner du peps aux journées sans couleur.
Belle semaine Philippe, et merci pour ces pépites que tu déniches, bien éloignées des sorties littéraires fracassantes, trop nombreuses et souvent décevantes.
alouette dit
Dès que je sors , je cours chercher ce livre et je menace le libraire de tous les maux s’il ne l’a pas en rayon !et j’ajouterai que s’il ne connait pas le critique littéraire qui me l’a conseillé, eh bien il n’est qu’un béotien !
Merci Philippe pour le conseil.
defilenpinceau dit
Merci pour ce partage…
Belle soirée
Michèle
bertille dit
Merci poue ce résumé qui me donne bien envie de me le procurer. Suis chez Proust en ce moment et j’ai du mal à le relire. Ça sent l’abandon dans peu de temps… J’aime les petites pépites que tu nous déniches, jamais décevantes.
Belle semaine.
Bertille