Mais quel bonheur de lire Francis de Miomandre ! Plaisir seulement obscurci par la perspective de voir venir la fin du récit. Pour différer ce moment d’ailleurs, alors qu’il ne me restait que quelques pages à lire de Direction Étoile, que je brûlais d’en connaître l’issue, j’ai posé le livre sans y toucher pendant plus d’une semaine. On n’est jamais pressé de quitter ce qu’on aime, même si différer c’est au final quitter quand même.
J’ai retrouvé dans Direction Étoile la délicatesse, la fantaisie, la drôlerie, l’originalité et la féérie qui m’avaient tant charmé dans Écrit sur de l’eau et dans Mon caméléon, ces ingrédients qui, décidément, mettent immanquablement ma sensibilité en émoi. Il faut sans doute demeurer un grand adolescent pour apprécier Miomandre à sa juste valeur, ne pas avoir cédé totalement à cette pente du temps qui fait naturellement glisser vers l’assèchement, l’embourgeoisement, le rétrécissement, quand les prosaïques considérations portées par le réel ont remplacé la fraîcheur des idéaux et le désir d’absolu. Mieux qu’aucun autre Miomandre sait mettre en confrontation le réel et l’élan vers l’idéal. Dans Direction étoile, le sublime s’incarne d’abord dans la bouleversante irruption de l’amour entre le narrateur, Altaïr, et l’insaisissable Bellatrix. Cette passion amoureuse tôt contrariée sera la quête d’une vie, entre espoirs et découragements, traversée par des personnages eux-mêmes éloignés des conventions et qui, à défaut d’argent, ont du moins « de l’esprit plein les poches ». On se fane à coup sûr moins vite en faisant primer la beauté, l’amour et l’esprit, dans une attitude aristocratique face à la vie. La lutte vaut d’autant mieux d’être menée qu’elle sera vaine. Son vieux mobilier, ses bibelots et son papier-peint semblent d’ailleurs avertir le jeune Altaïr du temps qui réduit tout à rien : « Nous t’aurons, va ! Nous sommes patients ! » Mais en attendant il y a le combat, tant qu’on peut s’armer d’amour et de merveilleux pour poétiser l’existence.
Je n’en dirai pas davantage. Je n’ajouterai pas, tant c’est évident, que le roman est très bien écrit, qu’on ne s’y ennuie pas une minute. Je ne préciserai pas que si tant de plaisirs nous rangent du côté du commun Francis de Miomandre produit l’exact effet inverse. Vous inciter à lire Direction Étoile serait comme croire que l’on puisse tomber amoureux d’une personne sur la seule foi de ses mérites. Nous savons bien que cela ne se passe jamais ainsi.
Direction Étoile
Francis de Miomandre
Éditions de l’Arbre vengeur
2021
247 pages
Marie Christine dit
Bonjour Philippe,
Me voilà bien naïve devant cet auteur, mort l’année de ma naissance, je viens de lire quelques renseignements sur lui et ses oeuvres et j’ai noté. Vos ressentis et les résumés glanés sur internet ont attisé ma curiosité et surtout l’envie de lire les romans cités.
Quel courage de quitter un livre qui vous passionne, pendant une semaine, c’est de la torture, pour ma part c’est impossible!
Merci pour ce partage et l’enrichissement de mes connaissances littéraires; y’a du boulot ;)!
Le soleil de la Charente Maritime se joint à moi pour vous souhaiter un bel après-midi.
MC
Philippe Joubert Lussac dit
Je n’ai pas beaucoup de mérite à quitter momentanément une lecture car je lis de front souvent deux ou trois livres. Le soleil de la Charente Maritime ne nous rend pas beaucoup visite à Paris. Il faudra que vous lui en touchiez deux mots ! ;-)
marie agapanthe dit
Voici un auteur dont je n’ai jamais entendu parler . Ton billet enthousiaste sur ses écrits m’inciteront tout naturellement à chercher ses ouvrages lors de ma prochaine visite dans une librairie. Marie *
Philippe Joubert Lussac dit
C’est un auteur assez injustement oublié, preuve que le talent n’est pas un gage de postérité surtout dès qu’on touche à la légèreté.
Fiorenza dit
C’est toujours un bonheur de vous lire, cher Philippe !
Votre esprit pétillant nous incite à partir à la découverte
de lieux, de paysages, de maisons, et aujourd’hui…
d’un inconnu célèbre ou d’un célèbre inconnu !
Aurons-nous assez de temps pour suivre tous ces chemins
ou nous laisserons-nous bercer par nos rêveries silencieuses ?
Pour ma part, les grèves et les jardins suffisent en ce moment
à mon « carpe diem » , la lecture attendra le retour des brumes…
bien que les sollicitations en la matière restent rarement lettre morte !
Philippe Joubert Lussac dit
Les rêveries silencieuses sont on ne peut plus respectables et il faut leur laisser la place qu’elles méritent. La nature et les jardins ne peuvent que les fortifier, vous leur offrez le meilleur régime qui soit ! ;-)
Triskell dit
J’avais remarqué ce livre il y a quelques mois dans un de mes lieux de perdition préférés *, le nom de l’auteur ne m’interpellant que parce que tu en avais abondamment vanté les mérites dans un de tes billets. Et puis la couverture, insolite, Paris sur mer (!), le titre, ambigu, la maison d’édition, trop drôle, bref, tout était réuni pour que je passe à l’acte. Mais je fais souvent cela en librairie : un repérage, pour plus tard, et lorsque plus tard arrive, il est trop tard.
Merci de me rappeler à l’ordre. Je vais le commander, et je te dirai.
*Librairie Le Divan, rue de la Convention Paris 15e
Bonne fin de journée de Pentecôte,
Dominique
Philippe Joubert Lussac dit
Plus tard rime parfois avec trop tard surtout lorsqu’il s’agit de petits tirages. C’est vraisemblablement le cas de Direction Étoile qui devrait disparaître assez rapidement des rayonnages. Je suis comme toi, je n’achète souvent mes livres qu’après coup. Entrés dans ma ligne de mire, je leur laisse le temps de devenir plus désirables encore. Je ne passe à l’acte qu’en revenant, ce qui est l’occasion d’en repérer de nouveaux pour une prochaine fois. Mais dans le cas de Francis de Miomandre, aussitôt aperçu aussitôt acheté. Et si quelqu’un s’était avisé de m’approcher d’un peu trop près j’aurais grogné ! ;-)