Il me prend une envie de râler. Rien qu’un peu. À l’encontre de toutes les personnes qui, par un usage de la langue française fautif, inapproprié ou inélégant, parviennent à faire saigner mes oreilles. Je vais donc m’offrir un luxe thérapeutique : un droit de réponse.
Voici un florilège (non exhaustif) de mes récriminations :
1- “En présentiel, en distanciel”
Les journalistes et politiciens ont popularisé en temps de Covid ces formulations assez ridicules. À laisser tomber. On optera simplement pour “sur place”, “au bureau” ou “à distance”.
2- “En retraite”
Si vous vous retirez de la vie professionnelle, vous partez “à la retraite” et non “en retraite”. L’essentiel étant tout de même que l’âge d’y partir ne soit pas reporté à 63 ou 64 ans…
3- “Voire même”
Je me vide de mon sang par les oreilles. “Voire”, tout seul, tout simplement, suffit. Ces malheureux journalistes, encore eux, sont les premiers à commettre cette faute qui a le mérite d’indiquer la qualité de leur formation.
3- “Challenge”
Anglicisme typique du monde plouc de l’entreprise (qui en cache bien d’autres), utilisé par ceux qui ont renoncé à tout amour propre. Peut-être espèrent-ils se voir distingués par l’Académie de la Carpette anglaise ? Pour les autres “défi” fera parfaitement l’affaire.
5- “Ma belle”
Pour une tenancière de maison close ou pour toute personne désirant faire croire qu’elle en est une, l’usage de l’expression est idéalement adapté. En dehors de ces deux cas aucun autre ne lui offre la moindre circonstance atténuante.
6-“Excessivement”
Certaines personnes utilisent “excessivement” pour introduire un adjectif à connotation positive. Non et trois fois non, personne ne peut être “excessivement sympathique” ni aucun paysage être “excessivement beau” ! J’ai une pensée émue pour l’adverbe “extrêmement” qui doit se demander, dans son coin, ce qu’il a bien pu faire pour être délaissé.
7- “Zone de confort”
C’est l’expression du moment. Tout le monde semble vouloir sortir de sa “zone de confort”. Pour entrer dans une zone d’inconfort ? Il est plus vraisemblable qu’il s’agisse pour ces personnes de souhaiter changer leurs habitudes, tout simplement.
8- “Enchanté”
Quand quelqu’un me dit “Enchanté” je ne laisse rien paraître tandis que le château de cartes de mes préjugés favorables s’effondre lamentablement. Dans mon cerveau des lumières rouges clignotent : mon snobisme est en alerte maximale.
Les usages ont le plus souvent des fondements logiques. Il ne faut pas oublier que le sens du mot est très fort. Pour dire votre enchantement on s’attendra donc à ce que fournissiez quelques efforts, dont celui de former une phrase complète. Mais comme il est peu plausible d’être “enchanté” de rencontrer quelqu’un que l’on ne connaît ni d’Ève ni d’Adam, l’abstention sera d’un meilleur goût dans la plupart des cas. On réserve son enchantement quand on suppose que la personne que l’on rencontre a de bonnes raisons de croire que l’on fait sa connaissance avec plaisir.
On pourra évoquer plus facilement son enchantement a posteriori. À la fin d’un dîner, dire à quelqu’un, en aparté, que l’on a été enchanté ou ravi d’avoir fait sa connaissance montrera une attention d’autant plus chaleureuse qu’elle apparaîtra vraisemblable.
9- “Au jour d’aujourd’hui”
Je pensais ce pléonasme durablement éconduit. Je l’ai entendu tout récemment sur France Info. Souhaitons-lui de retomber aux oubliettes.
10- “On ne va pas se mentir”
Préciser qu’on va exprimer une pensée franche est un bon moyen de souligner son insincérité le reste du temps. L’expression est devenue un tic de langage agaçant, disons-le franchement !
J’aurais pu ajouter à ma liste “en capacité de”, “mais pas que”, “en mode”, etc. Mes récriminations pourront paraître mal fondées, après tout ce n’est pas moi que ces usages desservent. Et puisqu’il faut toujours balayer devant sa porte, il m’arrive moi-même de faire tant de fautes en parlant que je suis obligé de me faire répéter pour me comprendre.
J’ai avant tout voulu prendre la parole au nom de mes tympans. Ils me sont très utiles, je les défends contre certaines agressions. Si l’on m’obligeait à avaler des pizzas Buitoni je serais heureux qu’on vienne à ma rescousse. Les motifs importants de râler sont par ailleurs si nombreux que j’ai en outre voulu enrayer une injustice : les petits motifs ont eux aussi le droit de vivre !
Fiorenza dit
Quel soulagement de voir ainsi exprimés mes agacements
quasi journaliers : manquent seulement « les territoires »,
les 400 (z)euros amputés de leur liaison, « celleszéceux »
ou, comble du ridicule, « les compagnons et compagnonnes »
sur les ondes nationales…il y a peu !
Quant à l’adjectif « compliqué » mis à toutes les sauces,
j’en arrive presque à souhaiter sa disparition
de notre chère langue française !
Merci, Philippe, votre esprit pétillant nous repose et nous ravit !
Fiorenza dit
Ajout : l’usage du « H » est souvent acrobatique…
Il y a quelques jours, j’ai entendu un des journalistes
les plus en cour à France 2 parler de « la forêt d’hêtres » ,
terme qu’il répéta avec autorité !
« Être ou ne pas être… » 🌳
Vinciane dit
Merci Philippe, Yves Duteil le dit si bien : “C’est une langue belle avec des mots superbes”!
La langue de chez nous n’est plus ce qu’elle était.
Belle journée à toi.
Vinciane
sandra dit
Que je suis heureuse de voir que je ne suis pas seule à me “hérisser” le poil voire (!!!) les poils …
A la liste vous pouvez aisément ajouter le terme du coup à toutes les sauces aigres douces etc … Du coup remplaçant … néanmoins, finalement, et tant d’autres ..
Du coup ;) je vous laisse sur ses bonnes paroles .
Très bonne semaine à tous.
Anne Marie C dit
Oh M E R C I Philippe pour cet article que je m’empresse de copier pour l’adresser à mes petits enfants. Avec votre permission, bien entendu. Pour Charlotte aux USA, j’attendrai encore un peu ! Merci pour votre si gentil et sensible message en début d’année.
Les correcteurs du journal Le Monde avaient rédigé un fascicule destiné à leurs journalistes pour qu’ils corrigent “leurs copies” et le journal avait eu la bonne idée de le publier pour en faire profiter tous leurs lecteurs, nous étions au milieu du vingtième siècle. Il a été “MA BIBLE” en matière de rédaction de texte et de courrier pendant très longtemps, hélas l’ayant prêté bien souvent…Il ne m’a pas été rendu …!!!
CHOYONS NOTRE LANGUE !
Bien à vous.
Lipatoff dit
Hélas ! Trois fois hélas ! Chaque jour je ne me reconnais plus dans cette société qui utilise des mots inconnus pour moi ! Mes oreilles saignent quant à elles avec le mot espèce que chacun fait féminin ou masculin selon le mot qui le suit ! J’en hurlerai à chaque fois ! Ah ! Et le sympathique « il faut que je voye «
C’est insupportable !
Mais ce qui m’attriste le plus ce sont plutôt ces manques terribles de savoir vivre et de politesse qui caractérisent notre vie quotidienne !
Je te souhaite une belle journée malgré tout car ce genre d’article comme tu sais si bien les écrire me laisse l’espoir qu’il existe encore des gens corrects et bien élevés !
Je t’embrasse.
Sophie
NancyRose dit
Bonjour,
Quel plaisir de vous lire !
Je suis absolument d’accord avec vous. Même s’il m’arrive également d’utiliser l’une ou l’autre expression “moderne”…
L’expression orale disparait tout autant que l’orthographe …. hélas
J’ai beaucoup aimé votre “petit mot” sur la photo de gauche :-)
joubert dit
C’est une belle façon de mettre les bons mots aux bons endroits pour que les phrases aient enfin un sens
Valérie S. dit
Je partage complètement votre jugement quant à ces tics de langage ou emploi mal à propos de certains mots. Pour ma part, ce qui me hérisse le plus est l’emploi quasi systématique de l’auxiliaire être à la place du verbe aller aussi bien de la part de M. et Mme tout le monde, que des journalistes et écrivains (même académiciens…)
Je m’insurge également contre l’emploi récurrent d’anglicismes à la place de mots français, notamment dans le milieu des entreprises… Par exemple, sourcing (parfois francisé en sourçage, encore pire !) à la place de prospection /recrutement…
Ah, j’ai failli oublier les 100 z’euros… Où la disparition du pronom relatif dont…
Ce qui m’attriste le plus c’est d’entendre très fréquemment ces erreurs de la bouche de journalistes ou écrivains dont on aurait pu espérer qu’ils fussent les garants du bon usage des mots.
Françoise de Bavière dit
C’est bien vrai, ce que vous avez écrit, cher Philippe. J’ajouterais encore cette petite expression que beaucoup utilisent sans cesse : “au fait, au faitt, au faitte” et toutes les expressions anglaises qu’on entend chez les jeunes surtout.
Votre idée de râler m’a fait du bien ! Moi qui croyais être la seule à gémir, je m’aperçois que ce n’est pas dû à mon âge ou parce que je vis à l’étranger depuis 50 ans. Ouf!
Merci, Philippe !
Madeleine Martez dit
Comme cela fait du bien de lire ces lignes, on finit quelques fois par se demander si nous ne sommes pas seuls à nous irriter envers ces barbarismes qui pullulent à chaque coin de bouche !
Merci de râler en notre nom
Anne Laure dit
“C’est bien vrai tout ça” comme dirait Mère Denis…
Toutefois, l’Academie Française chaque semaine continue à plancher sur le dictionnaire et elle introduit des mots ou usages nouveaux…car la langue française évolue!
Nous ne parlons plus comme au Moyen-Âge ni comme au temps de Louis XIV… mais j’avoue que certains termes me hérissent.
Combien de fois ai je vu des fautes d’orthographe sur l’écran de la télévision!
Et cela aux “quatre coins de l’hexagone”….
Cela dit, j’ai souvent entendu le mot “enchanté” tout seul dans les salons parisiens déjà il y a 50 ans… Je suis désolée de le dire!
Pour ma part, je ne l’ai jamais prononcé….
Pour ce qui est des anglicismes, toutes les langues s’influencent entre elles… Les anglais ont pas mal de mots français dans leur langue, hérités de l’invasion normande. Allez vous vous en plaindre?
Ludivine dit
Quelle profonde satisfaction de lire votre nouveau message.
Je me bagarre chaque jour de ma vie afin de faire respecter chacun des mots de notre belle langue dont je suis si fière.
Chaque mot a un sens bien précis alors pourquoi le détourner ou l’employer inconsidérément ou même ne pas l’employer du tout ? Nous avons cette immense chance d’avoir un language unique qui fait de nous une nation bien particulière et admirée de par le monde ( oui, oui, je continue de rêver, je le veux, il le faut ) !
Bonne journée à vous en ce jour difficile mais nécessaire.
Toutes mes belles pensées positives vous suivent Philippe :)
Evelyne dit
Bonjour, merci pour ce florilège qui m’a bien fait rire à 11h ce matin en buvant mon café.
J’écris toujours directement mais là je fais un document Word parce que j’ai peur d’en oublier.
J’attendais de lire le 7), la zone de confort, qui me donne envie de hurler. Elle n’est pas réservée aux journalistes, ça vient parfois d’une vendeuse dans un magasin de vêtements si elle tente de me vendre un pull fuchshia (fushia?).
Dans le même esprit, il y a « Je ferai remonter l’information » que je traduis par « Tu peux bien aller te faire voir », on sait que rien ne sera rapporté ni en haut lieu ni au moins à une personne qui tiendra compte de la remarque du client.
« Enchanté » est embarrassant quand c’est dit par une personne avec qui vous avez rendez-vous. Je ne connais pas bien les codes mais je crois qu’on dit « ravi » et non « enchanté » pour je ne sais plus quelle raison. Peut-être quelqu’un ici saura.
« Au jour d’aujourd’hui » me donne direct de l’urticaire, une tumeur inopérable au cerveau et surtout me gêne pour la personne, quand elle est en face de moi. Je me demande si elle me teste.
Comme la zone de confort, un truc me rend dingue. C’est quand un journaliste dit à un acteur « Vous vous êtes mis en danger pour ce rôle, vous avez pris des risques ». Ca va on n’est pas sous les bombes et se préparer pendant quelques mois à un rôle d’athlète (par exemple) en prenant/perdant 20 kilos et la même quantité de masse musculaire n’a jamais mis en danger personne si c’est fait correctement.
J’ajouterais à votre liste :
« Ce serait apprécié » dit si possible avec un poil de condescendance et pour montrer qu’on parle anglais et que oh, on a traduit littéralement parce qu’on ne sait plus parler français après 20 ans passé aux Etats-Unis, tu comprends…
« Bon appétit » m’achève. On ne sait pas si la personne a de quoi manger, c’est surtout ça qui me gêne. Ca ne se dit pas parce que ça fait référence au système digestif, bla, bla, bla… ce qui ne me choque pas, c’est juste que c’est une des formules les plus utilisées à tort et que trente fois par jour ça suffit.
Prochain billet sur l’écriture inclusive ?
Triskell dit
Tu as oublié le merveilleux, et inégalable “pas de souci”, entre autres…
Merci de ce retour en fanfare sur nos ondes ;-)
Sissi94 dit
Merci pour ce coup de gueule indispensable afin de faire comprendre à beaucoup de monde que notre langue française fout le camp.
Mon père avait une charmante expression en parlant des journalistes: “y z’écrivent comme y causent.”
Et en ce moment, avec tous les micros trottoirs qui inondent la TV, le “Bon François” est encore plus maltraité.
Ne pas oublier la mise au féminin de quantité de mots qui ne demandent rien. Le mot “autrice” me fait dresser les cheveux sur la tête alors que “auteure” est tout en douceur. Mais tout ceci est autre billet.
A bientôt.
Sylvie
marie-christine dit
bravo Philippe! vous voyez que vous nous êtes indispensable ( et je pèse mon mot) pour tous ces désagréments dont vous parlez si bien!
dès que j’ai lu votre premier écrit, il y a quelque temps …, je me suis trouvée “enchantée” par votre humour, ironie, et n’oublions pas le bon sens, le sens du merveilleux , du beau, du bon, l’autodérision dont vous faites preuve ;
quelques expressions qui me mettent en colère aussi: l’Hexagone pour parler de la France, nous sommes devenus des hexagoniens, que c’est laid!!! et pas étonnant qu’on n’ait plus envie de parler français…
et puis les ministres qui sont “en charge” de l’éducation, de la santé, que sais-je? je croyais que c’étaient les batteries qui étaient en charge;
et aussi complexifier, expliciter…
que voilà un billet qui fait du bien!
bonne journée , prenez soin de vous;
à bientôt de vous relire
marie-christine
Nathanaëlle dit
Bravo, vous râlez sensé et à bon escient ! Comme cela fait du bien de lire ce après quoi je m’insurge au quotidien, entendre les sornettes dites par les journalistes ou autre quidam qui n’a même pas réfléchi qu’en disant “au jour d”aujourd’hui” il disait trois fois “aujourd’hui”, (je l’ai même entendu prononcé par une ministre !) entre autres exemples. Une mise au point qui fait du bien, merci à vous. Et quel plaisir de vous lire…
Caroline Laisné dit
Je me croyais seule a être choquée, je pensais être devenue quelquefois « has Been »et me sentais quelque fois encore plus seule
Au jour d aujourd’hui🙈🙈🙈merci merci vos « billets « me réjouissent.
Caroline Laisnė
recoque dit
oh combien trop souvent dans les bouches des journalistes ces fautes trop régulières : “dans les années 85” et “une cinquantaine de maisons ont été endommagées” , pour exemple !
Marie-Thérèse de La Pradelle dit
MERCI, MERCI, Philippe, !!!
Et que penser du désinvolte et sûr de lui “ça le fait” ? …