Comme d’habitude à la même période une incoercible envie de faire une tarte m’a saisi. Avec la pâte que faisait ma grand-mère paternelle. Une simple pâte brisée est très bonne mais le beurre est une matière qui me dégoûte vaguement, que je ne consomme qu’avec parcimonie. Ma grand-mère n’en employait pas dans ses tartes et sa recette était un secret. Sauf pour moi qui l’aidais à dénoyauter les prunes (c’était en été) qui étalais la pâte et faisais les croisillons à l’aide d’une roulette dentelée. Ce travail à quatre mains donnait un résultat aussi agréable à l’œil que délectable pour les papilles. Avec le surplus de pâte (comme par hasard il en restait toujours) j’avais droit à un petit pain chocolaté que j’allais savourer encore chaud dans le jardin. Il avait un goût de bonheur très prononcé.
À l’âge de 15 ans, toujours cuisinant avec ma grand-mère, me vint à l’idée qu’un jour viendrait où j’aurais peut-être tout oublié. M’échappant de la cuisine à deux ou trois reprises, je dessinai et notai à la hâte ce que je venais de voir et de faire sur un morceau de papier déchiré. Car ma grand-mère ne suivait de recette que celle de sa mémoire. Ce bout de papier m’est demeuré précieux, à telle enseigne que je l’ai toujours caché, le retrouvant souvent par hasard, le cachant ailleurs aussitôt, le plus souvent dans un livre.
Cette fois-ci, pas moyen de remettre la main dessus. Alors je me suis rappelé le mélange de sucre, d’œufs, de sucre vanillé, de levure, de lait et de farine, le tout donnant une pâte assez épaisse, plus adaptée aux prunes dont le jus l’imprégnait, qu’aux pommes, mais qu’importe ! J’en referai une avec des poires. Le goût du souvenir n’est plus celui du bonheur mais rien n’empêche de le cultiver.
Les fruits, je les mange, et je les fais dessiner aux élèves de mon atelier. Appréhender la rotondité, la subtilité des teintes et les ombres est un excellent exercice. Je ne manque pas de le faire moi-même en guise d’exemple. Avez-vous jamais pris un fruit dans une main pour le regarder longuement dans ses moindres détails, comme si l’on vous avait dit qu’il s’agissait d’une œuvre d’art ? Alors vous réaliseriez que c’en est une ! Il y a tant de choses dont la fréquentation familière nous empêche de voir la beauté. Pour dessiner il faut apprendre à regarder, à regarder vraiment ! Pour continuer aussi de s’émerveiller dans l’ordinaire de la vie.
Annfil dit
Que de poésie pour un joli souvenir d’enfance.
C’est un bonheur de lire cette ” recette ” .
Philippe Joubert Lussac dit
Merci !
Vinciane dit
Le bonheur de retrouver ton talent et ta présence.
J’espère que tu vas bien en ce début d’automne, tout est beau dans tes tableaux, ce rouge qui réchauffe la toile…
Une belle tarte à l’ancienne qui donne envie d’y goûter.
Cherche davantage, je serais curieuse de lire le bout de papier…
Belle soirée Philippe
Philippe Joubert Lussac dit
Merci Vinciane, mes recherches sont encore vaines. Mais comme en ce moment je range, jette, vends, nettoie, je vais bien finir par tomber dessus.
i dit
Miam ! et bravo et merci…
Philippe Joubert Lussac dit
;-)
Anne Marie C dit
Ah , les recettes de nos grands-mères, un bien précieux ! Et pourtant, elles sont, le plus souvent, l’addition d’ingrédients bien simples et frugaux mais réalisées avec amour et pour voir briller nos yeux d’enfants…
Savoir dessiner, que j’aurais aimé avoir ce talent ; je suis toujours pleine d’administration devant les dessins de ceux qui le possèdent.
Aussi, Cher Philippe j’aime toujours autant votre travail et vos articles qui sont, à chaque fois, un bonheur et une belle parenthèse qui éclaire une journée même un peu sombre. Un grand merci à vous.
Philippe Joubert Lussac dit
Merci Anne-Marie. Des ingrédients simples mais enrobés d’amour et de patience. Aucun pâtissier ne peut rivaliser.
Jean-Paul dit
Je lis “Poire gayot”… Je dois me tromper, on ne m’a jamais pris pour une poire. Dois-je lire guyot ? Bien à vous. JPG
Philippe Joubert Lussac dit
En effet Jean-Paul, ce sont des poires Guyot. :-)
Chantal DANIEL dit
Philippe
Un grand merci pour ces délicieux moments visuels olfactifs et savoureux
Les tartes aux fruits nous replongent dans les douceurs de l’enfance nous enveloppent de tendresse
pour les diffuser à l’infini
L’automne nous gâte en cela
Alors à nos plats à tarte et dégustons les petits bonheurs de notre enfance !!!
A vous lire très bientôt Bel automne
Philippe Joubert Lussac dit
J’ai comme l’impression que mon billet vous a donné envie de sortir un moule à tarte du placard. ;-)
Fiorenza dit
Que j’aime ces effluves proustiens (clin d’œil à la dictée de Prosper Mérimée)
qui nous mettent les papilles en joie et…les larmes au bord des paupières !
Nos chères grands-mères étaient détentrices de trésors magnifiques,
tous différents selon les familles, mais leurs souvenirs ne s’éteignent jamais :
pour moi, « les petits-suisses » et « les pruneaux à la crème » faits-maison
rivalisent avec les desserts sophistiqués qui frisent parfois le ridicule…
Merci, Philippe, vos textes et images rencontrent si bien
mon « temps retrouvé » que je vous renouvelle mes plus vifs compliments !
Philippe Joubert Lussac dit
Merci beaucoup Fiorenza !
Ludivine dit
Très heureuse de retrouver vos écrits et votre humour cher Philippe.
Et que dire de vos délicats dessins, de vos précieuses photos.
La tendresse pour votre grand-mère éveille tellement de touchants (et regrettés) souvenirs en moi. Sa tarte (et la vôtre dorénavant) me met des étoiles dans l’estomac et que dire des papilles ?
Merci :)
Philippe Joubert Lussac dit
Je suis ravi de raviver des souvenirs précieux. Mais ces souvenirs là ne sont jamais bien loin…
Ludivine dit
C’est vrai. Ils sont même toujours très présents au détour d’une pensée, d’un ressenti … :)
Hélène dit
Un véritable bonheur que les souvenirs de “douceurs” exécutées à quatre mains avec nos grands – mères , le far aux pruneaux ou la semoule au caramel réveille pour moi des moments indicibles …..tant de tendresse partagée et de rires joyeux ….
Tes dessins et photos sont ravissants , il faut effectivement bien observer les fruits et découvrir ainsi des oeuvres d’art , quand je dessine et peins , je fais ainsi , que de détails apparaissent alors …..la beauté est à portée de l’oeil !
Je suis pommes du jardin à croquer en ce moment et crumble pour le thé !!!
Bien à toi , Hélène
Philippe Joubert Lussac dit
Il est vrai que dessiner et peindre incite à l’observation attentive, quand bien même on ne chercherait qu’à retranscrire une impression.
Marie July dit
…et pour écrire comme tu le fais, il est certain que tu regardes au-delà des choses, des courbes, des senteurs mêlées aux merveilleux souvenirs gourmands de ta grand-mère aimanté.
Merci pour partager tes paradis.
Bien à toi doux Poète !
Philippe Joubert Lussac dit
Merci Marie !
Marie-Anne dit
Miam miam !…donc, pas de matière grasse dans ta pâte ?
Philippe Joubert Lussac dit
Aucune. Mais je beurre le moule toute de même.
Sissi94 dit
Les goûts gustatifs de notre enfance : de beaux souvenirs.
Bonne dégustation.
Sylvie
Philippe Joubert Lussac dit
Merci, elle a été vite engloutie !
Triskell dit
Les fruits, les légumes, ce sont les couleurs de la vie telle qu’elle devrait être : ronde, brillante, sucrée ! La réalité est tout autre, mais passons… Contrairement à toi, le beure ne m’impressionne pas, au contraire, avec deux grands-mères bretonnes, dont une qui baratait encore le sien, je suis une inconditionnelle, et dois me contenir pour réfréner ma consommation. Au rayon souvenirs, ce sont les pommes cuites et les oeufs au lait qui émergent, avec parfois une variante pain perdu., cette belle et bonne simplicité vers laquelle nous devrions tous revenir.
Je ne sais pas pourquoi, mais je sens que tu vas le retrouver, ce petit papier magique.
Et merci pour ce magnifique billet fruité.
Philippe Joubert Lussac dit
Je vais le retrouver, il est simplement…quelque part ! C’est mon intuition qui me le dit. ;-)
CathWB dit
Quel doux souvenir d’enfance ! J’ai l’impression de sentir l’odeur de cette très bonne et belle tarte. Et puis toujours de magnifiques photos pour illustrer ce texte. Merci.
Philippe Joubert Lussac dit
Ce n’est pas une impression, j’avais ouvert la fenêtre, elle a dû parvenir jusqu’à vous. ;-)
Julliot dit
Les recettes de grand-mère…J’ai le souvenir d’une salade de pommes de terre au thon, d’un hachis parmentier, d’une bouillie le matin…Je l’ai vue faire maintes fois et j’ai essayé cent fois mais…elle avait sans doute ce petit quelque chose en plus de secret que je n’ai pas. C’était elle et c’est toujours tout doux d’y penser comme une certaine madeleine. Merci pour vos billets et vos photos ou dessins qui sont toujours un enchantement et font tant de bien…Bel automne à vous!
Philippe Joubert Lussac dit
Parfois aussi ce sont nos goûts qui évoluent. Impossible alors de retrouver la sensation passée malgré nos tentatives pour la faire renaître. Il reste heureusement le souvenir…
Lune dit
Délicatesses dans votre texte, délicatesses qui touchent les sens et me font penser à cette si juste phrase de l’écrivain Colette : “Nous ne regardons, nous ne regarderons jamais assez, nous ne regarderons jamais assez juste, nous ne regarderons jamais assez passionnément”.
Cordialement
Philippe Joubert Lussac dit
Merci pour cette citation !
defilenpinceau dit
Ah, les souvenirs d’enfance !!! moi, c’était la floniarde que je faisais avec ma grand-mère…
Belle soirée
Michèle