Né en 1879, fils de commerçants drapiers parisiens, Paul Poiret fait ses armes chez Jacques Doucet puis chez Worth avant de créer sa propre maison de couture et de donner enfin la pleine liberté de s’épanouir à ses créations. De lui l’histoire de la mode retient surtout l’abandon du corset, l’allure orientalisante (turban…), le lancement de la jupe-culotte ou encore les jupes étroites entravant la marche. Il imprima également sa marque dans l’ameublement, la décoration, la parfumerie, les motifs textiles ou encore les costumes de théâtre. Paul Poiret fut un créateur hors norme, curieux de tout, travailleur infatigable, entrepreneur novateur, audacieux et grandiose. Seul l’intéressait le domaine des idées pour lesquelles il dépensait sans compter. Mais les considérations financières qu’il percevait comme des entraves (il détestait les comptables comme les banquiers) finirent par le rattraper : projets dispendieux et dettes accumulées causèrent sa perte.
Grasset réédite dans Les Cahiers Rouges En habillant l’époque, ses mémoires. Le couturier revient sur sa vie passée tandis qu’il a tout perdu, sans tristesse ni regret, avec cette inaltérable énergie qu’ont ceux que les chutes n’effraient pas et qui savent prendre de toute situation la bonne part. Le couturier évoque sa jeunesse, ses débuts chez Doucet qu’il admirait beaucoup puis chez Worth où il dut créer des robes simples et pratiques adaptées aux usages nouveaux (prendre l’autobus, se promener à pied…). Il raconte les débuts de sa propre maison de couture dans un local de la rue Auber, puis le succès et l’argent, les fêtes absolument fastueuses qu’il donnait tant par goût personnel du beau et du plaisir qu’en manière de publicité. Il fait revivre ses amitiés, ses démarches pour étendre son influence, notamment en Amérique, décrit le fonctionnement d’une maison de « grande couture », ce qui fait une bonne première, une bonne ouvrière ou un bon mannequin. Ainsi l’exemple de cette première, « vertueuse vieille fille », à qui Poiret avait conseillé de prendre un amant, selon « le principe indéniable, en ce qui concerne la couture, que des employées dont les sens ne sont pas cultivés ne peuvent qu’y jouer un rôle limité. »
Je ne peux rendre compte ici de tous les aspects savoureux d’une vie de démesure. Certains chapitres du livre sont particulièrement intéressants, notamment celui consacré aux Américains, épinglés pour leur inculture, leur manque de fantaisie et de goût, leur « indifférence à tout ce qui fait le charme, le décor et la distraction de la vie. » Mais ce que ne devinait pas Poiret c’est que tant de pays, la France y compris, finiraient contaminés par ce qu’il y avait le plus détesté.
Un passage sur les artistes, à titre plus personnel, m’a fait l’effet d’un baume : « Ainsi, les jardiniers ne conservent sur un arbre que les branches porteuses de fruits. Mais un artiste a besoin de pousser toutes ses branches, et même celles qui ne produiront rien sont valables pour lui. Qui oserait dire qu’elles ne donneront pas aussi des résultats dans un avenir plus lointain ? Pour l’artiste, l’inutile est plus précieux que le nécessaire et on le fait souffrir quand on veut lui faire admettre l’inanité de ses audaces, ou quand on choisit dans son œuvre ce qui est monnayable seulement. »
Paul Poiret était un homme d’une grande intelligence, à la fois égocentrique, généreux, provocateur et talentueux. Il ne domina pas la Belle Époque, il fut la Belle Époque, l’incarnation magistrale de ses excès et de sa joie de vivre. L’énergie communicative de Poiret fait que l’on avance dans ses mémoires au galop, rêvant un peu jalousement de mener comme il le fit si bien plusieurs vies en une seule, avec passion.
En habillant l’époque
Paul Poiret
Éditions Grasset, coll. Les Cahiers Rouges
2022
269 pages
(Les éditions Grasset ne sont pas à la hauteur, le texte est rempli de fautes, coquilles ou mots oubliés. Quant au texte mis en postface il est en réalité une préface.)
Vinciane dit
Bonjour Philippe, je ne connais absolument pas ce couturier, merci pour ce billet intéressant, je raffole ce genre de livre et ne manquerai pas de me le procurer.
Je viens tout juste d’acquérir une longue jupe droite qui, je le reconnais, est bien compliquée à porter… Mais comme cela reste élégant.
À bientôt de tes nouvelles…
Vinciane
Philippe Joubert Lussac dit
Une jupe droite, voilà bien une complication que je ne risque pas d’avoir dans ma vie. ;-)
Dams Lydie dit
,moi non plus Philippe , je ne porte que des vêtements dans les quels je me sent à laisse , je ne cherche pas à plaire .
Vinciane dit
Voilà que je réalise qu’il est également parfumeur…
Je vaporise de temps à autre son parfum divin “Cœur de Poiret”… dont le flacon est une beauté…
Philippe Joubert Lussac dit
Ne serait-ce pas plutôt un parfum de la maison Poiray ? Ce qui n’aurait rien à voir dans ce cas.
jane dit
une belle découverte ..je ne connaissais pas ce couturier .
Philippe Joubert Lussac dit
Tant mieux si vous avez pu le découvrir à travers mon billet.
Jean-Paul dit
Peut-être lui a-t-il manqué une compagne ou un compagnon pour ne pas se perdre financièrement !?
Philippe Joubert Lussac dit
Poiret a été marié, sa femme a contribué au succès de son mari en arborant ses créations. Poiret n’avait pas une personnalité “freinable”, vouloir le temporiser aurait sans doute eu sur lui l’effet inverse.
Dams Lydie dit
derrière chaque grand homme se cache une grande femme
Hélène dit
Oui Poiret était un Personnage ! le personnage !
Pas oublié du tout pour , entre autre ,sa vie de fastes et d’originalité …La fin , comme souvent celle de beaucoup d’artistes , se termine …tristement …sans rien !
Philippe Joubert Lussac dit
Je ne suis pas certain que “tristement” soit un qualificatif adapté à la fin de Paul Poiret. Son intelligence et son optimisme combatif lui auront sans doute tenu lieu de colonne vertébrale jusqu’au bout. D’ailleurs il s’est mis à peindre et à écrire.
Dams Lydie dit
👍 Philippe .
Nathanaëlle dit
Je retiens surtout ce couturier pour avoir usurpé le fait d’avoir libéré le corps des femmes du corset, car en réalité c’est à Chanel que l’on doit cette avancée. Je crois qu’il ne l’aimait pas du tout et qu’il a tout fait pour lui mettre des batons dans les roues, car elle avait des idées novatrices. Ceci dit, cette mode, cette tendance, si élégante que prit la mode de 1910 à 1914 en partie grâce à Poiret, vit son déclin à cause de la première guerre mondiale. Celle-ci a mit fin à un style, mais a fait un bond en avant après 1918, ce furent les Années Folles…
Philippe Joubert Lussac dit
Poiret a abandonné le corset dès 1906 avec sa robe “Lola Montès”. Il a utilisé la gaine et le soutien-gorge pour libérer la poitrine, il s’est aussi débarrassé des jupons.
Dams Lydie dit
il s’est tout compte fait pas débarrassé de… mais il a échangé par gaine ,soutien-gorge kiff kiff bourricot 😂😂
Pat dit
Billet et commentaires intéressants qui donnent envie de se pencher sur la vie de ce couturier malgré les coquilles et les mots oubliés par Grasset…
Philippe Joubert Lussac dit
Il reste possible de le trouver d’occasion dans des éditions plus anciennes en cas d’allergie trop forte au travail mal fait.
Evelyne dit
J’ai ce bouquin dans ma pile depuis qu’il a été réédité dans les Cahiers rouges, je ne l’ai pas encore lu. J’avais lu Christian Dior et moi qui était intéressant sur le mannequinat à l’époque, quand le statut de mannequin ne valait pas grand chose, et sur la personnalité de Dior qui détestait se mettre en avant et finalement a du le faire toute sa vie, sa phobie des voyages, le fait qu’il était un peu borderline par nature ou par nécessité, l’époque un peu folle, enfin, toujours plus amusante que maintenant.
Je lirai En habillant l’époque, mais je ne sais pas quand.
Philippe Joubert Lussac dit
Moi c’est Christian Dior et moi que j’ai dans ma pile. Cela fait un certain temps, il attend patiemment.
Evelyne dit
Je pense que vous allez adorer ce livre. Dior pressentait déjà, en 1956, que bientôt les gens n’auraient plus les moyens financiers qu’ils avaient, et par là, ce serait la fin de la haute couture telle qu’elle existait, et la mort de la beauté pour le vêtement, si je peux dire. Je me dis qu’il était visionnaire puisque c’est ce qui est arrivé, et ça a laissé la porte ouverte jusqu’à ce qu’on voit maintenant. (non je n’ai pas 80 ans et je ne fais pas partie des gens qui disent “c’était mieux avant” – encore que, pour “C’était mieux avant”, …si). Sinon il y a le livre d’Olivier Saillard “Le bouquin de la mode” que l’on peut ouvrir à n’importe quelle page et trouver des informations sur tout et toutes les époques, si vous ne l’avez pas déjà.
J’ai une question parce que vous semblez trouver des éditions originales assez facilement, où les achetez vous?
Philippe Joubert Lussac dit
Je ne doute pas qu’il me plaira. J’avais consacré un article à une biographie consacrée à Dior il y a 5 ans : https://gris-bleu.fr/2017/02/devenir-christian-dior/
Merci pour la référence du livre d’Olivier Saillard que je ne connais pas. Je n’achète pas d’éditions originales, juste des ouvrages d’occasion lorsque ce que je cherche n’est plus édité. Je trouve généralement ces derniers à la librairie Gibert.
Evelyne dit
Ok merci, je demande chez des libraires qui vendent des vieux trucs quand j’ai l’occasion (pas des éditions originales en fait, des livres qui ne sont plus édités, c’est ce que je voulais dire). Je vais tenter chez Gibert. Je me souviens de ce livre “Devenir Christian Dior”, j’étais tellement sous le charme de ce que le vrai Dior avait écrit, je ne voulais pas lire une bio. Je vais lire votre article,
bonne journée
E.
Sissi94 dit
Très bel article.
Merci pour toutes ces précisions.
Sylvie
Philippe Joubert Lussac dit
Merci Sylvie!
marie agapanthe dit
J’ai toujours beaucoup aimé les dessins de mode de Paul Poiret et j’aurais adoré avoir l’occasion de porter l’un de ces tenues somptueuses.
De ce billet si riche je retiens trois choses :
– L’anecdote sur la première qui se devait de prendre un amant afin de développer ses sens.
-La vision que Paul Poiret avait des américains.
-“Pour l’artiste l’inutile est plus précieux que le nécessaire”, pensée à laquelle j’adhère totalement. J’ai toujours pensé que ce qui était le plus utile dans la vie c’était justement ce qui paraissait inutile à tant de monde. Je caresse même depuis longtemps l’idée de rédiger un billet de blog intitulé : ” De l’utilité de l’inutile”.
Pour finir : je note les rééreences de ce livre et je l’achète à la première occasion;
Marie *
Philippe Joubert Lussac dit
Tu ne devrais pas être déçue si tu le lis, il y a de l’humour, des anecdotes, de la réflexion, de l’histoire… On se s’ennuie pas une seconde.
Triskell dit
Paul Poiret m’est très familier par la lecture de toute l’œuvre de Benoite Groult, qui l’évoque régulièrement lorsqu’elle parle de sa mère, Nicole, sœur du couturier, et elle-même styliste. Les quelques extraits choisis donnent effectivement envie de se plonger dans la lecture de sa vie multiple et extraordinaire.
Comme Marie*, je suis interpellée par “l’inutile qui est plus précieux que le nécessaire”, ce qui justifierait toutes les futilités dont j’aime m’entourer.
Philippe Joubert Lussac dit
Avec cet inutile plus précieux que le nécessaire je te sens prête pour bâtir une œuvre ! ;-)
Agnès dit
Merci pour ce billet fort intéressant, toujours de belles découvertes avec vous Philippe!!
Philippe Joubert Lussac dit
Merci à vous Agnès !
defilenpinceau dit
Votre billet (et les commentaires) me donne envie de lire ce livre pour le plaisir de l’inutile et agréable…
J’ai aussi, comme Dominique, un certain penchant pour l’inutile mais souvent si agréable qui embellit la vie si banale quand on n’a pas le talent d’un Poiret !
Belle journée
Michèle
Philippe Joubert Lussac dit
Tout le monde a un talent, même s’il n’est pas éclatant et qu’il ne s’incarne pas dans la notoriété. Après tout il n’y a aucun mal à ne pas avoir l’esprit de conquête d’un Poiret. D’autant que ce doit être fatiguant ! ;-)
Aster78 dit
Bonjour. Intéressant article évoquant un nouveau livre sur Paul Poiret, personnage hors normes et à multiples facettes. Passionnée par l’Histoire, je me suis penchée sur l’histoire du corset. Des historiens reconnaissent Paul Poiret et/ou Madeleine Vionnet libérateurs du corset féminin.
Or le corset était déjà aboli en 1878, année durant laquelle, Herminie Cadolle, dépose un brevet d’invention pour son corselet-gorge à bretelles élastiques, qu’elle a confectionné en coupant en 2 un ancien corset de compression et dont elle fera du même coup une gaine de maintien élastique avec le bas. Elle avait, en effet, demandé à une filature de Troyes de lui fabriquer un tissu élastique à partir de caoutchouc dont elle sera la première utilisatrice pour confectionner ses sous-vêtements féminins. Présenté aux expositions universelles de Paris de 1879 puis de 1900, son invention lui apporte succès et célébrité dans le monde entier. Dès 1900, reines, princesses, actrices et autres femmes célèbres ou fortunées sont déjà clientes de La Maison Cadolle, dont Mata Hari en 1910 et Suzanne Lenglen, championne de tennis en 1921 qui en deviendra l’égérie et associée. La Maison Cadolle est en à sa 6ème génération de descendantes d’Herminie Cadolle et prospère toujours dans le domaine du luxe.
A noter que le mot soutien-gorge est apparu en 1904, donc avant l’idée de Paul Poiret de libérer la femme du corset !
Difficile de comprendre que Paul Poiret est abandonné la haute couture, aigri des copies de ses modèles, alors que lui-même se revendiquait d’être le libérateur du corset féminin et inventeur de la gaine, deux inventions dont il n’est pas l’auteur.
Il reste l’inventeur de la jupe resserrée aux chevilles qui obligeaient les femmes à trottiner, mais aussi de la jupe-culotte. Il se passionnera pour d’autres domaines du luxe comme les parfums, le mobilier, la peinture, les artistes, les collections diverses… en homme excessif qu’il était, il sera un acheteur accumulateur compulsif jusqu’à sa perte.